Démarche artistique

Mon travail en astrophotographie est caractérisé, premièrement par le défi technique et scientifique que représente la capture des objets célestes et ensuite, par la sensibilité esthétique, philosophique et poétique qui permet de les transfigurer.

Mes sujets de prédilection sont principalement les nébuleuses à émissions qui peuplent notre voie lactée. Ses objets, dont la taille peut atteindre plusieurs centaines d'années lumière, s'étendent sur de vastes régions distantes de plusieurs milliers d'années lumière.

En effet, l'astrophotographie est une des rares disciplines qui se situe juste à la frontière entre l'art et la science. Elle exige une grande rigueur technique et impose régulièrement son lot de frustrations. Les sujets photographiés émettent une lueur si faible qu'ils demeurent invisibles à notre œil humain, même lorsque celui-ci est rivé à l’oculaire d'un télescope. Seul des heures de poses, réparties sur plusieurs nuits, permettent de capturer suffisamment de lumière pour faire apparaître leurs fins détails et révéler leurs beautés.

Les nébuleuses se déplacent sans cesse sur la voûte céleste. Pour pouvoir les attraper, il est nécessaire de disposer d'un matériel optique, mécanique et électronique performant et coûteux, capable de concentrer la lumière et de compenser très précisément la rotation de la terre. Il faut impérativement maintenir l'objet figé dans le champ de la caméra durant plusieurs heures d'affilées. La moindre erreur produit un résultat flou.

Malgré ce matériel performant, il arrive fréquemment que le travail de plusieurs heures passées dans l'obscurité et le froid soit réduit à néant en raison de mauvaises conditions atmosphériques. Même avec un ciel sans nuage, la qualité de la lumière peut être suffisamment altérée pour finir par ne pas être exploitable. Notre atmosphère agit comme un voile fluide qui dégrade la lumière et rend les détails flous et les étoiles pâteuses.

Les longues focales utilisées, les imperfections mécaniques et optiques de l'instrument, l'humidité, la pression atmosphérique, le vent, le givre, la lumière de la lune, les écarts de température, la pollution atmosphérique, la pollution lumineuse, la position du sujet dans le ciel, les bruits électroniques et photoniques sont autant de facteurs qui compliquent encore la tâche.

Je suis fasciné par la nature de ces immenses structures gazeuses chargées électriquement (ionisées) et modelées par les vents stellaires émis par les étoiles environnantes. Elles abritent les ingrédients de base de la vie, l'hydrogène, l'oxygène, le carbone et l'azote.

Pour capturer la beauté de ces objets fascinants, je me suis spécialisé dans une technique appelée imagerie à bande étroite. Cette technique consiste à utiliser des filtres interférentiels qui permettent de bloquer une grande partie de la lumière en laissant passer uniquement la lumière dans une bande spectrale de quelques milliardièmes de mètre (nanomètres). Ces filtres agissent un peu comme des passoires avec un seul trou minuscule dans lequel une infime quantité de lumière parvient à s'y engouffrer. Ils permettent de capturer la lumière émise par les éléments chimiques qui constituent les structures gazeuses de la nébuleuse.
Les filtres sont montés sur l'astrographe dans une roue motorisée qui permet de les déplacer entre chaque pose afin de capturer successivement les photons patiemment récoltés sur une rétine électronique, sensible aux nuances de gris.

Ainsi, il est possible d'extraire les fins détails dans la lumière émise par les atomes ionisés de l'hydrogène, de l'oxygène et du souffre. Ses atomes correspondent au numéro atomique 1, 8 et 16 de la table de Mendeleïev qui classifie tous les éléments chimiques connus dans l'univers. Ces éléments chimiques ont tous été forgés par des étoiles géantes qui ont transformé peu à peu l'hydrogène primitif en une palette de briques élémentaires qui remplissent la table périodique jusqu'au numéro atomique 26. Celui-ci correspond au Fer. A la fin de leur vie, les étoiles massives dispersent dans l'univers les précieux éléments qu'elles ont forgés lors de cataclysmiques explosions, appelées supernova. Les forces engendrées par ces explosions phénoménales permettent d'atteindre une température de l'ordre du trillion de degrés ce qui permet ainsi de continuer le processus de fusion, en forgeant des nouveaux éléments chimiques plus lourds que le fer.

Leurs cendres, ainsi éjectées, viennent se mélanger aux structures gazeuses des nébuleuses. Elles sont ensuite agrégées par les ondes de chocs produites par d'autres étoiles et par la force de gravitation pour former de nouvelles étoiles et de nouveaux systèmes planétaires.

Au terme du travail de capture, les photons récoltés durant chaque pose sont stockés sous la forme d'images brutes dans des fichiers numériques.
Ensuite, les images brutes sont filtrées, calibrées, alignées et empilées pour former une image brute unique par élément chimique. Toutes ces images brutes uniques sont encodées sous la forme de nuances de gris.

Après le travail de capture, vient le traitement qui permet de transformer les images brutes en une magnifique image pleine de couleurs.

Le traitement laisse la part belle au côté artistique. Il se pratique à l'aide de logiciels spécialisés qui sont bardés d'algorithmes et d'outils adaptés à la problématique du traitement de l'imagerie dans des conditions de basse lumière. Ses outils se base sur des concepts mathématiques puissants qui permettent notamment de réaliser un traitement non linéaire du signal afin d'étendre la dynamique de la lumière dans l'image.

La couleur est construite en associant les éléments chimiques aux trois couleurs primaires selon une palette choisie. J'utilise comme base de travail la palette créée par les scientifiques pour le télescope spatial Hubble. Elle associe la couleur rouge au souffre, le vert à l'hydrogène et le bleu à l'oxygène.
Ainsi les couleurs trahissent la répartition des éléments chimiques qui composent le corps du sujet.

Bien que ces outils soient éminemment techniques et complexes, leur pratique régulière permet de développer les automatismes nécessaires à leurs utilisations dans un cadre artistique. Lorsque ces automatismes sont acquis, la technique s'efface et laisse la part belle aux sensations esthétiques qui façonnent peu à peu l'image au travers d'une succession d'itérations.

Le traitement donne une vision subjective du sujet, néanmoins une des règles fondamentales à suivre est de préserver autant se faire que peu la nature de l'objet. Le traitement doit uniquement transformer les données brutes afin d'en améliorer leur valeur esthétique. Il ne doit pas être trop destructif ! Tout l'art réside dans la subtilité de l'application des outils et algorithmes de traitement.

Il ne me reste plus qu'à vous parler des aspects philosophiques et poétiques, ceux-ci sont à l’œuvre durant tout le processus créatif.

Il m'arrive régulièrement de passer des heures sous la voûte céleste à contempler le ciel à l’œil nu, avec des jumelles ou à l’oculaire de mon télescope.

Durant cette période contemplative, le temps s'arrête, le monde et la nature endormie laisse la place à l'écrasante beauté du ciel. Dans cette obscure clarté, je laisse alors mon esprit voyager pour me rapprocher de ces merveilles célestes qui génèrent en moi un feu d’artifice d'images et de sensations. Seul le cliquetis de l’obturateur de la caméra me rappelle sur terre à intervalle régulier. Dans ces moments privilégiés, l'astrographe cesse d'être juste un ensemble de composants inertes, il devient une extension de mon corps et me donne l'intense sensation d'être vivant, en parfaite harmonie avec la nature et l'univers.

Lors du traitement, les sensations vécues sous la voûte céleste on une grande influence sur l'atmosphère et sur la profondeur que je donne au résultat final.

Vous aurez compris en me lisant que la somme de ce travail créatif peut être formulée sous la forme d'une vaste et complexe équation contenant d’innombrables paramètres connus et inconnus qui font que chaque image astronomique est unique.

Pour conclure, l'astronomie est une passion qui implique un énorme investissement physique, mental et émotionnel. En contrepartie, elle apporte énormément de bien-être et elle rend patient, humble et heureux celui qui la pratique.

Aujourd'hui, j'ai la chance de partager le résultat de mon travail avec vous !

David Lindemann




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